Dans tous les cas, au bout d’un certain temps à arpenter, mon regard repère un, deux, trois bouts seulement, improbables; je les acquière pour leur qualité détectée, pour la valeur que je leur attribue. Je rafistole, à partir de cette surface minime, cet ADN en quelque sorte, je m’applique, reconfigure un tout, je m’arrange avec la richesse des moyens du bord, je laisse agir les mémoires acquises de l’expérience, les gestes composent, ordonnent un présent, je les re-dresse, à peine.
Quand je les termine, elles tiennent debout, en limite parfois du déséquilibre, mais debout quand même. C’est le fragment qui mène la danse. Je ne dessine rien, pas de projet, la préoccupation, c’est ici d’activer le regard, mes mains, autour de ce rien ou presque; distinguer et faire la place.
L’étonnement naît, ce qui est décisif, je sais alors que la pièce existe, faisant face, un inconnu.
Elles sont légères, sur tige souvent, un socle décidé, différents à chaque fois, pour une hauteur quasi de mauvaises herbes, d’herbes folles; des brindilles de matière, des capteurs d’air sondant l’inobservé.
Les herbes folles, boutons d’or, iris, têtard, phasmes s’exprimaient haut et fort dans cet espace qui jouxtait la maison de mon enfance, je chérissais cet endroit plus que tout autre : « le trou de Rouvière », un lieu clos et sauvage, où faune et flore triomphaient, un lieu dangereux qui laissait pourtant mes parents tranquilles, la confiance !
Mon premier laboratoire ! »
Joëlle Gay - 2015.