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Die Weltmeister Éric Manigaud
   

On est au cœur d’ambiguïtés sans nom. L’image photographique, en tant que technique en plein essor, qui apparait quasiment à l’époque de l’asile, marque de son empreinte la révolution moderne et ses espoirs. On célèbre son pouvoir de captation, comme l’indique Susan Sontag : « L’image peut déformer, mais il y a toujours une présomption que quelque chose d’identique à ce que la photo montre existe, ou a existé, réellement » . Ainsi, cette image photographique, en touchant à l’insondable du réel, dans une dureté qu’il porte en lui, s’insinue dans des zones où le fil de ces espoirs modernes était des plus fragiles.

C’est à ces ruptures, ces espoirs, et à ces douleurs drainées dans les sentiers de l’Histoire qu’Éric Manigaud semble, par sa technique, s’attaquer en revisitant pleinement ces images. Il lui faut saisir, derrière les apparences de cette représentation du réel passé, ce qui s’agite encore, insidieusement, douloureusement, comme le passage ininterrompue des profondes idées. (…) 

Sa fouille des archives, des bric-à-brac, lui permet d’exhumer la matière de son futur geste : une photographie qu’il va piéger ou qui l’arrête, lui, sur le vif -le saisit. Il va ensuite s’y confronter, des semaines durant, en la projetant sur un mur lisse (par le biais d’un appareil de projection), après l’avoir rendu à l’état de diapositive.



Patiemment, dans la pénombre d’une pièce exigüe, tel un ascète ou un ermite, se retirant dans son antre, il reprend sur une large page blanche, millimètre après millimètre, les ombres et les lumières de cette projection démesurée. Son trait est assuré par une matière des plus simples -le graphite du crayon de bois aux densités variables. Et là, son geste, assidu, répétitif, mouchetant la page de traces presqu’ imperceptibles au premier abord, le colle à la surface d’une image qui, de si près, se trouble. C’est ainsi qu’Éric Manigaud dénoue les froissements de l’invisible à la recherche de quelque chose, sous l’effet d’une patience, à l’égale d’une vague douce, qui chercherait à mettre au jour le temps coulé sous le sable. A la fixité de l’image succède la douceur angélique du trait, à la fois, très présent et qui s’absente, soudain, dans le rendu.

Éric Manigaud vit avec le reflet de l’image -immobilisé par ses soins, comme glacé, des heures durant, d’un travail titanesque. On peut dire que cette répétition, le glissement progressif de son coup de crayon, de gauche à droite, de haut en bas, devient l’objet d’une performance -au sens même d’éprouver, de percer, voire de traverser, cette image qu’il a choisie, en la faisant d’abord disparaître car troublée devant ses yeux, puis à nouveau apparaître, quand il recule à la fin, et qu’il éteint l’appareil de projection. (…) 
























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